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LE BLOG DE DANI D'ART
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11 mars 2010

Je t'écris de Paris

En 2009, une information à la Médiathèque du 15 ème : la Mairie de Paris organise un concours. 

Il s’agit d’écrire une lettre qui relate une visite de Paris, description des monuments ... « Je t’écris de Paris ... ». Date limite de dépôt, le soir même, à minuit, par internet.

J’ai rédigé, expédié rapidement pour m’amuser, sans y penser. Evidemment, je n’ai pas été retenue. Plusieurs mois plus tard, j’ai retrouvé cette lettre et, en la relisant, j’ai compris que j’avais été complètement hors sujet.

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Je t’écris de Paris,

 

Tu es parti et je suis seule, avec ma famille, sans toi. Au début j’ai dit enfin, çà suffit, il va se reposer, mon D ... accueillez-le près de vous, il l’a bien mérité, je crois.

Et puis, comme un boomerang, je l’ai reçu de plein fouet, ta souffrance, ma douleur et mes larmes. Je t’aimais tant tu le sais.

Je t’écris de Paris, que cette ville est belle. Malgré ton absence, je mets mon masque aux apparences de femme bien éduquée, de mère attentive, aimante. 

J’avance, je vis. Quand le temps le permet, je visite Paris, la Place des Vosges est majestueuse, un miracle d’architecture, l’alignement des maisons, leur couleur ocre et son jardin central. Et puis, ce qui ne gâte rien, la maison de Victor Hugo.

Les enfants sont petits, alors parfois, récompense suprême, le « Jardin du Luxembourg » : cris de joie, on souffle sur les voiliers pour qu’ils glissent plus vite, ils courent, partout, je m’inquiète « ne vous penchez pas, vous allez tomber dans l’eau ».

Ce jardin est si grand, moi qui n’ai connu que des mouchoirs de poche. Des arbres majestueux, des statues présentes, grâce de la pierre, animées d’un geste ou d’une pause, habillées de drapés plissés ou retombants, négligemment posés. Et les fleurs délicates, savamment plantées par un Maître jardinier, aux couleurs assorties d’un joli dégradé. Quelle bouffée d’oxygène, on court vers les poneys, «  ne crains rien, je suis là, je te donne la main ». T’en souviens-tu, mon frère, assis sur le rebord du bassin, tu as posé avec les enfants, je t’ai pris en photo, instant magique, poignant souvenir.

Et puis d’autres promenades, le « Jardin d’acclimations » avec les petits et toi. Paradis des enfants, des jeux à profusion, tu joues avec eux, sans voir, derrière toi, la main aux doigts crochus qui avance son bras. 

A cette époque tu n’avais que 24 ans. La maladie est là, périodes de rémission, on profite, on découvre la Tour Eiffel, le Champs de Mars : « on veut prendre l’ascenseur pour monter tout là-haut sur la pointe disent les enfants », je suis faible avec eux. Vue impressionnante, magnifique, la Seine à nos pieds qui déroule son long ruban d’argent, les maisons, les Musées, les Palais ...

D’autres inquiétudes, d’autres séjours en milieu hospitalier, tu gères tout, notre peine, mon chagrin si profond, tes études que tu n’abandonnes  pas : tu veux être pharmacien, 5 ans de maladie, 5 ans d’études indissociables.

Un espace de répit et je te montre le Musée d’Orsay. Tant de tableaux à admirer, et tout d’abord le lieu, une gare qui revêt des habits de couleurs, de lumière. Tu t’étonnes, tu lèves les yeux, tu admires les peintures, il y a tant de merveilles, tant, trop pour toi, tu te fatigues vite mais tu insistes pour continuer un peu encore, l’immense horloge, les sculptures, les peintures de Manet, Degas, Gauguin...

Tu l’as eu ton diplôme, encadré chez les parents à côté de ces phrases que tu répétais sans cesse «... Tais-toi O ma douleur et tiens –toi plus tranquille »... « ... Avec quelle furie as-tu tranché le cours d’une si belle vie », le vacarme du métro que tu as enregistré sur cassette, fond sonore indifférent ou fatigant à tant de parisiens, devenait pour toi une mélodie sans nom.

Tu as pris une longueur d’avance, je m’inquiète, quand mon Jour sera venu, je débarquerai dans ton pays, au milieu de la foule , n’oublies pas de bien lever ton bouquet « je suis là, viens  ...», le jaune des mimosas à l’odeur entêtante, les mêmes fleurs de l’entrée du Lycée Lamoricière, quand je t’attendais à la sortie des classes, installée sous les arbres, je fermais les yeux, ivre de leur parfum, ma corvée devenait « bonheur et plaisir.... »

Vois-tu, frère adoré, j’ai longtemps cherché chez les fleuristes, sur les marchés, dans l’Ile de la Cité et jamais retrouvé ce parfum ; il fait partie intégrante de cette belle Algérie que nous avons connue, les pieds dans l’eau si claire.

Pourtant, on a fait le nécessaire, on t’a rebaptisé d’un nom pris au hasard dans un livre de prières, on a ouvert une page  et le premier nom hébraïque « Lehaim » (la vie) s’est inscrit.

A ta naissance j’avais 7 ans. 

Un baigneur vivant en cadeau. Peu à peu au cours de nos jeux, j’ai tendu un fil de soie entre toi et moi, la soie c’est brillant, léger, solide. Il ne s’est jamais rompu, tu souffres, le fil se tend et devient douloureux ; j’entends de la musique, c’est une autre douleur ...

 

Et maintenant j’écoute, encore et encore,

Gustav Mahler,  ses Symphonies

Le Chant de la Terre

L’adieu ....

J’ai chanté, au Palais des Congrès, le « Requiem de Mozart » t'en souviens-tu,  tu me l’avais demandé à l'hôpital... je n’ai pas eu le temps de te l’acheter. 

 

Danielle DARMON- Mars 2009

(En souvenir de Gérard

Disparu le 9 Décembre 1969)... c’était hier.

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Commentaires
V
Je découvre avec ton texte si poignant ce que la vie a dû être après... J'étais trop jeune(4 ans), mes souvenirs sont très flous, pourtant une part de moi regrettera toujours de ne pas avoir eu la chance de le connaître. A travers toi, je partage ces instants précieux et comprends mieux ta souffrance. Bravo et merci
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E
Très émue en lisant ce texte, je partage cette douleur encore présente pour moi aujourd'hui après tant d'années!<br /> Belle écriture qui ne peut laisser personne indifférent.....
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L
Danielle je découvre ce texte souvenir " je t'écris de Paris" et la fin me fait pleurer. Tant de souvenirs enfouis qur tu fais ressurgir! C'est très beau et très poignant. Bien sur le texte est un peu hors sujet et très personnel, mais je l'ai beaucoup aimé.
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