LE PETIT PAIN AU CHOCOLAT
Entre lui et moi il y eut des « « vas t’en », « je ne veux plus te voir », « la tentation ça suffit », mais il revient toujours, c’est dramatique.
C’est une ancienne histoire d’amour, qui dure, toujours présente. Malgré tout mon dédain, rien à faire, je n’ai jamais vu une Viennoiserie m’aimer à ce point.
Enfin, j’exagère, c’est moi qui AIME, oui, j’ose le dire, j’AIME très fort et si je l’écris aujourd’hui c’est dans le fol espoir d’obtenir, grâce votre expérience, votre culture, votre sagesse, un remède pour me délivrer et me dire : Ouf ! Voilà, c’est fini, maintenant tu peux marcher dans la rue, du pas de la femme soulagée.
Vous n'y comprenez rien ? Alors, je vous explique.
Depuis quelques années je souffre d'une addiction ou envie irrésistible de déguster des petits pains au chocolat.
Tous les jours, malgré ma vigilance, il m'en faut un. Je sors faire des courses, je résiste un moment, « tu n'es pas raisonnable » ! Rien n'y fait, je craque et même s'il est midi je me régale, n'écoutant jamais ma conscience qui me culpabilise.
Il n'y a rien de risible à cela, c'est douloureux et je souffre avant et après la dégustation.
J’ai traversé des périodes calmes, pas de crampes d’estomac, j’allais tranquille, pensant à des évènements tantôt joyeux, un tantinet euphoriques, tantôt nuageux, moroses ; et rien, je le jure, mon mental au repos, rien ne faisait naitre dans ma tête cette envie irrésistible de cette viennoiserie, sortant du four, ou à peine tiède.
C’était la période des temps heureux.
Hélas cela n’a pas duré. Une belle Image de Pain au chocolat, brillante, a fait subitement irruption sous mon front, elle s’est installée, pour un peu elle m’aurait demandé un transat pour être bien à son aise. Puis, le Petit pain m’a envoyé un signal, - ça parle un Pain au chocolat - un beau vocabulaire, clair, précis : «ça suffit cette comédie de régime, justement je sors du four, si tu veux bien m’emmener dehors, le temps de tiédir, je te ferai un brin de causette ». Comment voulez-vous que je résiste ? Et là il ne s’agit que d’une boulangerie.... classique.
Mais si je passe dans des quartiers plus élégants, jolies vitrines, les pains au chocolat se déchainent. Au lieu de se tenir correctement, c’est l’inverse dans le 16e arrondissement et j’entends : « Psst, Psst, par ici ma belle, dépêche-toi, le chocolat coule, tu vas en perdre la moitié sur le papier, allons chez toi prendre un café ».
Là, vous le comprenez bien, ce sont de vrais voyous, ma vie devient un enfer, j’aime trop ces voyous-là !
Alors, aujourd’hui, je suis dans un état de désespoir profond. Ce n’est pas une vie de mourir d’envie de lui.
Un jour, pleine de courage, j’ai commencé par des consultations auprès de médecins divers et variés, des hôpitaux, ils ont levé les bras au ciel, « quoi, vous ne pouvez pas résister ? Achetez-les et venez les apporter ici, on ne vous fera pas payer la consultation » (8 années d’études pour entendre des bêtises pareilles).
J’ai pensé à faire courir des bruits de petits pains empoisonnés afin d’inciter les boulangers à supprimer la fabrication de ce délice, je l’ai inscrit sur Internet sur le site « SUVEILLEZ CE QUE VOUS MANGEZ » mais là , cela a bien failli me couter cher ; les boulangers bien plus malins que moi ont retourné la situation à leur avantage, ils ont publié sur Facebook , « Surveillez ce que vous mangez, dans toutes les boulangeries une journée étonnante initiée par une grand-mère, pour un Petit Pain au Chocolat acheté, les 2 suivants seront offerts , afin de gouter à la qualité Facebook. J’en ai entendu de toutes sortes en rasant les murs :
- "Elle a eu une bonne idée celle-ci, moi j’ai fait le plein dans mon congélateur"
- "Ou bien, mon fils a invité toute sa classe pour son « Anniversaire Petit Pain au Chocolat"
- "Ou les grands-mères d’aujourd’hui sont drôlement capables, elles font de la publicité, elles tapent sur un ordinateur à la vitesse de l’éclair, forcément elles ont commencé sur une machine à écrire bien avant nous "
Hélas pour moi la boulimie des uns ne m’a pas coupé l’appétit, j’étais écœurée.
Tenez, prenez aujourd’hui, je passe au Laboratoire chercher des résultats. J’en ressort tranquillement, bonne analyse, et subitement, une morsure au creux de l’estomac, celle du petit pain.......
Comme il se doit, toujours à côté d’un laboratoire d’analyses médicales, s’installe une boulangerie. Je comprends très bien qu’après les prélèvements à jeun, on ne résiste pas au café et au petit pain, mais pour les résultats il n’y a pas de raison d’avoir envie de petits pains sauf si les résultats sont très mauvais .....
Alors, que faire ?
Quelques mois passent, je cours toujours de boulangerie en boulangerie. Et je pense curieusement, avec toutes les viennoiseries qui s’étalent sur les comptoirs, comment se fait-il que je n’en change jamais, toujours lui, rien que lui ?
A la fin de la semaine, l’arrivée du Printemps et le souhait de guérir m’incitent à chercher des solutions. Moi je n’ai plus d’idée alors je pleure auprès de mes amies, j’en parle à des relations, des commerçants de toutes sortes, je dis : mon désarroi de cette lubie qui me colle à l’estomac, me gâche la vie.
La plupart ont ri : « mais ce n’est rien, on vous trouve une solution rapidement ».
Réunion, discussions, la solution imparable se profile...... j’entends on peaufine et on t’appelle !
Hier, enfin, bonheur, l’une de mes meilleures amies me téléphone « j’ai compris,
pourquoi ..... C’est parce que tu t’obstines à manger la même chose tous les jours, change et achète un croissant, le Pain au Chocolat s’éloignera »
« Mais enfin Mathilde, ce n’est pas possible, c’est de lui dont j’ai envie, tu n’as rien compris !!! C’est un dialogue de sourds. Si je te disais change de mari pour un plus drôle, que dirais-tu ?"
Silence, je me suis sentie très mal d’un coup, je crois que le mari en question était à côté ou bien, non ! Elle voulait me dire, j’aimerais bien !! Je n’ai pas cherché à comprendre, merci beaucoup, on se rappelle.
Ça commençait plutôt mal, je devais impérativement surveiller mon langage.
Puis j’ai eu un mail pour me dire :
Ne t’inquiète pas, je cherche, je trouve, j’appelle ou bien fastoche, je te fais un mail, ou bien on s’y met mon mari et moi et je te téléphone. Ma belle, ne te fais pas de soucis, il y a des choses plus graves dans la vie, crois-moi et elle enchaîne pendant ½ heures sur sa cousine qui vient de se découvrir une boule dans chaque sein.
Merci bien, à bientôt, je compte sur toi (ça c’était peut-être de trop).
Et bien, j’ai été médisante, elle m’a rappelé deux jours après....Héloïse !
HELOISE - Si tu savais le travail de recherche que nous avons entrepris Charles et moi,
MOI - Mais de quoi parles-tu, je ne voulais pas de recettes, tu ne crois pas que je vais m’en faire à la maison.....
HELOISE - Mais non, ne t’énerve pas, va boire un grand verre d’eau, assieds toi, branche ton Skipe et écoutes-moi.
HELOISE- Tu connais Marcel ?
MOI - Celui de l’accordéon à qui l’on dit « Chauffe, Marcel » pour l’encourager ?
HELOISE- Tu exagères, tu as la Culture au ras des pâquerettes !!
MOI – Mais enfin, tu t’expliques ?
HELOISE- Je parle de Marcel Proust, celui des Madeleines
MOI - Mon Dieu, je rêve, le petit prétentieux, je n’ai jamais pu lire plus de dix lignes, c’est d’un rasoir, alors ses Madeleines, j’imagine ? à quoi penses-tu ?
HELOISE- Bon on se calme, je te lis un passage
Extrait de « Du côté de chez Swann »
(Passage sur « la Madeleine de Proust »)
..... Elle m’envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulées dans la valve rainurée d’une Coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perceptive d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de Madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférente, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse.......
MOI – Trop c’est trop, tu n’as rien compris, je me f.... de l’orgueilleux, du vaniteux, Observe, j’ai bien fait d’en écouter un peu plus, c’est intéressant mais je ne suis pas sure d’avoir vraiment compris le sens de ce texte, le temps qu’il finisse sa description alambiquée, j’aurais pu terminer un paquet entier de Madeleines ; et il paraît qu’il y en a des pages d’une description unique, mais où as-tu trouvé ce fat ? .... « .....Semblent avoir été moulées dans la valve rainurée d’une Coquille de Saint-Jacques », je rêve, mais je rêve, il faut l’écrire ce truc là ! Mais explique-moi, où as-tu été trouver ce bellâtre ?
HELOISE - À la bibliothèque voyons et c’est Charles qui a lu tout un rayonnage avant de tomber sur la Madeleine.
J’ai subitement pensé, pas folle la guêpe, donner ça à Charles, c’est inhumain !
Voilà me dit Héloïse, un petit aperçu d’une description littéraire d’un merveilleux gâteau. (Oh là, là, c’est contagieux, cette écriture). Alors, je te propose de changer progressivement la viennoiserie au chocolat contre une petite Madeleine de Proust ; écoute-moi, elles sont délicieuses, tu auras vite fait de faire des infidélités au voyou chocolaté »
Que choisir ?
– (MOI retenez-moi) Ciel, on est partis d’un pain au chocolat classique, banal et on arrive à la Madeleine du Père Proust accouchée par une coquille St Jacques!!!!!!!
Maintenant tu vas m’écouter, nous sommes en plein dialogue de sourds, je ne veux pas remplacer le Pain au Chocolat par ta Madeleine, mais L’ELIMINER ; et je ne veux pas devenir accroc de tes Madeleines. As-tu pensé que je pourrais manger les deux ? Catastrophe !!
Et d’abord ça ne se fabrique plus l’invention de Marcel !
HELOISE - Mais voyons, va Place du Trocadéro ou rue de Passy ou à Neuilly ..... »
MOI - Je rêve, je rêve, c’est très gentil, Héloïse, je n’ai que ça à faire au prix de la Madeleine, et avec le trajet sous la neige, j’aurais vite fait de revenir à mes premières amours.
Je suis désolée pour Charles, lire tous ces bouquins, c’est cruel, le moins que je puisse faire, c’est de l’inviter à boire un thé Madeleine.
Après cette idée complètement farfelue, j’ai mis plusieurs jours à m’en remettre. Je n’avais plus le goût à rien, toutes les propositions pour m’en sortir n’aboutissaient pas. Je pensais toujours à ce maudit petit pain, à des solutions radicales de rétrécissement de l’estomac. Mais du Généraliste au Chirurgien, on m’a dit NON, vous faites fausse route, écoutez-nous :
« Il ne faut jamais compter sur personne, il ne faut pas être « attendente », c’est vous qui devez trouver la solution »
Alors j’ai pris une sage décision, j’ai pensé à un plan d’enfer, si ça fonctionne, je suis sauvée.
C’est simple, devant la porte de la plupart des Boulangeries, une femme est assise en tailleur, à même le sol.
C’est triste d’avoir faim, de sentir de bonnes odeurs de pâtisseries qui cuisent. J’ai donc décidé d’acheter chaque jour un pain au chocolat et de l’offrir à une de ces dames, une bonne action d’une part et un en moins pour moi.
Petit pain au chocolat en forme de Pavé
1ere tentative : je marche tranquillement, respiration profonde, je passe devant la 1e boulangerie, en souriant aux passants que je croise, GAGNE ! J’ai résisté. BRAVO ! Respiration. Pour faire diversion, je m’arrête pour acheter quelques légumes, soi disant pour maigrir...
Je continue ma route, 2e Boulangerie je ne regarde pas la vitrine, une sueur perle sur mon front. La dame assise sur une marche résignée, mourant de faim, m’attend surement. Je m’engouffre à l’intérieur de la boutique, je paie en vitesse mon pain au chocolat et je ressors aussi vite en lançant presque la viennoiserie sur les genoux de la dame.
Je pars en courant et je m’entends dire : « Madame, madame, je vous remercie beaucoup, mais je préfère plutôt un sandwich, ça nourrit plus qu’un pain au chocolat »
Je n’ose à peine vous le dire, que s’est-il passé dans ma tête, c’est sûr, je n’ai pas réfléchi, j’ai acheté un gros sandwich, je l’ai donné à la dame et..... j’ai repris le Pain au Chocolat.
Je suis partie en égrenant un chapelet de jurons. Quelle honte, c’est une maladie imprévisible, qui se moque des envies.... il faut me guérir rapidement.
Vous comprenez bien, que tous les conseils n’ont pu faire face à cet amour immense que j’éprouve pour lui, retirer le pain de là bouche à une « sans abri » ! C’est honteux.
J'ai trois amours !
Ce - jour là, j’étais anéantie, les Psychologues auront beau me dire « il faut avoir « l’Estime de Soi » et bien, « mon Estime » était restée sur les genoux d’une certaine dame.
Après cette épreuve, les jours se sont écoulés sans joie. Plus rien, plus de téléphone, je pleurais facilement et peu à peu j’ai espacé les rencontres, les sorties, les visites.
Sans m’en rendre compte, le goût pour le petit pain s’est éloigné, il est devenu terne. Moi qui salivais à l’approche d’une boulangerie, me voilà devenue plus que rassasiée, écœurée presque.
EPILOGUE
Moralement j’allais mieux, j’ai repris l’écriture, revu mes amies.
Un jour Héloïse me dit : "pourquoi ne pas raconter l’histoire de ton petit pain" ?
J’ai bien ri et si ça réactive mon envie, qui est presque terminée ?
Justement, donne toi une chance de consolider cette guérison, vas-y commence et tu me tiens au courant !
Et voilà, il n’en fallait pas plus me pousser, j’ai écrit ce que vous venez de lire, une sorte d’Epitaphe du petit pain. Pendant que j’enjolivais mon texte, en plaçant mes illustrations de Pain au chocolat, je reçois un mail :
"Madame, je cherchais sur Internet le nom d’une galette délicieuse que j’avais goûté à Saujon. Je tombe sur le compte rendu, en 2011, de votre cure Thermale. Vous m’avez rappelé mon séjour et le goût délicieux de cette spécialité. Je n’ai pas retrouvé le nom.....Ainsi, pendant que je mettais un point final à mon amour particulier, que j’essayais d’éloigner mon pain au chocolat en essuyant une larme .....
Cette dame cherchait en vain à ramener dans sa maison, sa délicieuse Galette.
Intriguée, j’ai recherché puis téléphoné au « Petit Fournil de Saujon », les sympathiques Boulangers avec qui j’avais eu l’occasion de discuter temps de cuisson de leur pain particulier et voilà, j’ai mon renseignement, Madame est servie.
Amusant de constater, cette dame m’avait écrit, par hasard, juste au moment où je postais mon inscription à la Cure Thermale de Saujon. Quelques échanges et nous nous découvrons beaucoup de points communs ; bizarre, bizarre, à suivre.....
A l’angélique de Niort
RECETTE POUR MARYVONNE
Pour trois galettes :
450 gr de farine
240 gr de beurre salé
210 gr de sucre
1 paquet de levure
3 œufs
1 pincée de sel
1 cuillère à soupe de Cognac
Battre les œufs et le sucre jusqu’à ce que le mélange devienne mousseux.
Ajouter le Cognac, le sel. Dans une jatte disposer la farine en fontaine, mettre l’appareil œufs, sucre et la levure, mélanger .Puis incorporer le beurre ramolli
Répartir la pâte sur 1 cm d’épaisseur dans un moule à tarte beurré (diamètre 22cm)
Dorer à l’œuf
Cuire à feu doux 120° - 150° pendant 30 minutes…
Quel délice ! BON APPETIT
Maryvonne attention aux addictions !!!
Je vous engage à y passer un jour ....
MES REMERCIEMENTS
Aux Boulangers de mon quartier et Au petit fournil de Saujon
Pour leur « savoir faire » trop bon !
A mon petit fils Jordan qui a bien voulu se distraire de ses révisions, pour assurer une relecture de cette Nouvelle.
Ses fous rires ont été ma meilleure récompense !
Danielle DARMON
Paris le 25 Février 2012