LE DESTIN
Ferdinand Faivre
« Il faut toujours un coup de folie, pour bâtir un Destin »
(Marguerite Yourcenar)
Il faut en convenir, tu changes le cours de ma vie. Comme le lit d’un fleuve bien souvent calme ou tranquille, tu en transformes le débit, tes paroles me font sourire, rire aux éclats, me révoltent parfois.
Tu refuses souvent mes cadeaux, les imaginaires aussi, je referme mon paquet, tu aimes bien raisonner, justifier ton geste, tu essaies de me convaincre et soudain, Oh ! bonheur, tu changes de méthode, la détente installée dans ta voix, je la perçois rapidement, les résultats sont là, je me prends à espérer des dialogues harmonieux, des accords presque parfaits, des cieux bien souvent bleus …. J'en suis convaincue et je dis pourquoi pas ?
Nos conversations prennent des tournures variées, amusantes, sévères même, inventives ou bien réelles, selon notre humeur du jour ; c’est souvent toi qui en donne le tempo, on commente, on se bat comme des chiffonniers, on défend notre point de vue, mais souvent, je t’écoute à peine, je file droit devant, pressée de t’orienter vers mes nouveaux projets, ceux que j’estime cette fois-ci, exceptionnels ; une autre joie est là, sur ce chemin que je t’ai tracé ; j’aimerais tant que tu l’empruntes.
Mais ce n’est pas si simple, les croyances qui sont tiennes, bien installées, ont du mal à rejoindre les miennes, hésitantes, apeurées ; elles pourraient fusionner pour une heure, pour un jour, ou pour toujours. Alors, je me surprends à dire en moi-même « Arrête de Rêver ».
La journée se termine, je récupère mes projets intacts ou cabossés, toi tu reprends les tiens nets, à peine effleurés. Ils serviront à d’autres.
Des musiques sont présentes pour tout harmoniser, légères, poignantes, qui favorisent l’impression d’une rupture imminente, des éloignements qui s’étirent, des horizons plombés, des lampes de chevet dont la lumière baisse jusqu’à l’obscurité.
Que faire dans le noir si ce n’est se coucher, se rouler bien serrée dans un duvet léger, s’endormir doucement et reprendre sa rêverie juste au point de rupture, pour tout recommencer.
Nos réflexions les plus courantes ont pour sujet, la Grammaire française. Les trois temps, Présent, Passé, Futur nous opposent.
Le Passé, je m’en éloigne, il ne m’intéresse plus, il a laissé des traces douloureuses, des blessures profondes encore fragiles, que tu panses au présent. Je te cherche dans ce passé pour y trouver un point d’ancrage qui pourrait m’apaiser, mais je ne t’y vois pas. Au bord de la mer, j’ai scruté l’horizon en vain, nous aurions pu nous rencontrer, nous dissimuler dans l'écume, ou dans le creux d’une vague égarée.
Non, décidément, tu es nulle part dans mon passé, je te l’affirme : Le Passé n’est plus notre temps.
Si nous parlons du temps Futur, il me faudrait beaucoup d’imagination pour nous y voir ensemble. Pourtant, l’imagination, moi, j’en ai à revendre, elle me cerne, elle m’habite, c’est mon refuge, c’est mon secours, quand l’oxygène se fait rare ; mais toi tu ne connais pas ce mot, tu prends tout au sérieux, tu me dis, "j’ai les pieds sur terre, alors que toi tu vis sur ton nuage mélancolique".
Entre terre et ciel la distance est bien grande, comment nous retrouver ? Bien logé dans ta jolie maison, à l’abri d’un coup de vent, moi, à l’inverse, je suis en équilibre, « joue avec le vent, cause avec le nuage ». Mon Univers fragile peut s’effondrer rapidement et me voir disparaître à tout jamais.
Alors, il faut bien l’admettre, le FUTUR, lui aussi, ne sera pas notre temps.
Et le temps PRESENT me dis-tu, tu ne me parles pas du Présent ?
Ne t’inquiète pas, je laisse toujours le meilleur pour la fin, comme si je voulais, d’un temps à l’autre, te rendre plus réceptif, plus malléable, prêt à accepter mon raisonnement, le seul qui soit au temps présent.
Vivre à ce temps qui te plait tant, on ne devrait pas faire beaucoup d’efforts.
Pour toi c’est une habitude, tu ne parles qu’au présent quoique parfois, l’émotion brise un peu ta voix quand tu te risques à une petite confidence ; elle déborde de ton temps, je suis séduite par une réponse, mais je me tais, ça m’est si agréable de comprendre que tu n’es pas invulnérable.
Alors, pour te plaire, je cherche dans ma mémoire, des verbes au temps privilégié, je rectifie mes phrases, je les mets au Présent, temps pur, net et sans bavures.
Et bien lorsqu’on est deux, essayez vous verrez, le Présent n’a pas l’exclusivité, dans les phrases bien construites, qui vivent une histoire.
Bien que le temps Présent soit ta conviction, j’ai encore des difficultés à m’asseoir près de toi.
Le Passé voudrait bien s’installer entre nous pour ternir notre image.
Mais m’offrir une compréhension généreuse, une certaine complicité : "dis pourquoi, j’aimerais bien t’écouter tranquillement et comprendre, effacer tes déceptions, retirer les phrases méchantes… explique-moi…". Je crains que ce sois impossible pour les uns, ils perdraient leur identité ; pour d'autres il faudrait qu'ils s'humanisent.
Lorsque tu me dis « j’aime m’entourer de gens heureux ! » je te dis mais moi aussi voyons, des gens vraiment heureux c’est joli, mais parfois si ennuyeux, ils manquent de relief, ou de sincérité, ils forcent la dose pour imposer leur prétendu bonheur. Ils n’ont pas d’émotions, des envies subites de dire
"j’ai pensé à toi aujourd’hui, ma journée a eu un éclairage particulier !"
Souviens toi de cela
Il n’est qu’un temps
C’est le Présent
(Auteur inconnu)
Nos Destins se sont croisés, il y a quelques années, à cet instant, les Temps n’avaient pas d’emprise sur nous. Passé, Présent, Futur nous les acceptions, ils régulaient notre vie.
Puis ils se sont mêlés, confondus, nous nous sommes perdus, retrouvés. On a eu peur, la leçon a été salutaire, j’ai compris enfin que notre temps,
le Temps d’aujourd’hui, le Temps de l’apaisement
s’appelle le TEMPS PRESENT.
« Ce qu’on ne veut pas savoir de soi-même, finit par arriver de l’extérieur comme un destin ».
Carl-Gustav Jung
Paris le 27 novembre 2012
Danielle DARMON